Édito

septembre - décembre 2020

À l’heure de la Covid 19, nous sommes tou·tes interpellé·es sur la suite à donner à nos relations à l’art et aux pratiques culturelles. À vrai dire, la situation sanitaire que nous traversons, et qui met au jour la profonde crise culturelle, n’est qu’un symptôme de notre incapacité à hériter, et à dépasser, ce que la politique culturelle nationale nous a légué depuis les années Jack Lang. Il faut reconnaître dans ce qui fut réalisé en cette période, le coup de génie d’avoir donné naissance aux « fabriques de l’imaginaire » que sont les CDN, les CCN, les Fracs, les Centres d’art…

La géographie culturelle mise en œuvre depuis les années 1980, n’est en rien celle de la seule dissémination des pratiques artistiques et culturelles à chacun·e, certes nécessaire. En effet, s’il fallait résumer le projet artistique et culturel d’un Frac, pour ne prendre que cet exemple, nous pourrions nous limiter au désir inassouvi d’« habiter poétiquement le monde » (Hölderlin). La quête est vertigineuse et, pour le dire avec sérénité, impossible à atteindre. Il faudrait pour cela que chaque mètre carré de nos vies soit la demeure d’une oeuvre et le refuge d’une pensée.

Alors que faire ?

Le territoire national est couvert d’un réseau dense de Fonds régionaux d’art contemporain (Frac). La première mesure à mettre en place serait, à notre humble avis, de faire que ces lieux soient à la manœuvre d’une politique nouvelle de l'in situ. Avoir l’audace enfin de couvrir le territoire d’art ; donner aux artistes les espaces urbains, les paysages ruraux, les trottoirs, les délaissés urbains… comme demeure de leurs œuvres. Une politique volontariste portée par Madame la Ministre de la Culture, les Président·es de Régions et les Maires sauverait le secteur des arts visuels en évitant aux artistes de tendre la main comme des mendiant·es, mais en se souvenant qu’ils sont nécessaires à notre survie et à la fabrique du réel où nous vivons.

Nous devons aussi redéfinir notre rapport aux publics. Il est urgent de plaider non pas pour l’augmentation de la fréquentation, mais au contraire une baisse drastique de cet objectif. Un changement radical de perspective : recevoir moins de monde, mais les recevoir avec hospitalité, avec bienveillance. C’est la grande leçon que le personnel soignant nous a enseignée ces derniers temps. Nous devons passer plus de temps avec nos visiteur·euses, les accompagner, leur parler, les écouter, les connaître. Nous aurions enfin l’occasion de faire de chaque espace dédié aux expositions le lieu des possibles, l’agora où tout peut se dire.
La fabrique du réel, que nous appelons de nos vœux peut devenir le lieu de nos « disputations » contemporaines. Elle impliquerait le public, les artistes, les œuvres et les élu·es pour faire que le monde soit plus monde et d’éviter qu’il soit moins humain et que la vie de ses habitant·es soit plus pauvre en humanité, pour reprendre les mots de Hans Jonas

Abdelkader Damani