Thomas Raynaud

Une retenue d'eau, 2017

Les dictionnaires continuent de nous enseigner que l’architecture est l’art de construire des bâtiments. Construire oui, mais construire comment ? Pourquoi ? Pour qui ? Pendant des siècles ces questions ont trouvé leurs réponses dans des règles de style qui se présentaient comme autant d’ordres du monde. Plus récemment, on les a davantage cherchées dans les principes d’un autre ordre : l’industrie. Et puis les styles sont revenus, et avec eux les formes, mais cette fois souvent sans autres règles que celles que chaque architecte se donne pour lui même. L’expression d’une subjectivité.

La piscine d’eau de mer de Pirou-Plage, dans le Cotentin, fait partie de ces constructions qui attisent l’attrait de ceux qui chercheraient encore une définition plus fondamentale, plus anonyme aussi. Située à une centaine de mètres du littoral, elle est constituée de deux bassins qui se remplissent et disparaissent avec les marées. Deux rectangles de béton, des marches, des échelles, deux fanions qui en signalent la présence à marée haute. On pensait parler d’une simple piscine, on se retrouve avec moins encore : « une retenue d’eau ». Ni vraiment une piscine ni vraiment rien. Un mur de béton ancré dans le sable, ancré dans les marées, installé dans la mer. À la fois au large et au bord. Une partition simple. À l'intérieur un espace changeant, à la fois signe et monument. À la fois flaque et piscine. À l'extérieur le monde, la mer, les marées, les usages, les drapeaux, le délire et la noyade possible. En un mot ce que l'on continue d'appeler le dehors, l'extérieur.

Dans sa simplicité, ce que matérialise cette retenue d’eau c’est le fait même de partitionner : une prise sur la mer qui organise deux espaces distincts. De la pure et simple délimitation d'une retenue d'eau, à la débauche formelle d'une oeuvre de cour, on comprend alors que l'architecture ne fait jamais autre chose que concevoir, construire et produire des formes de séparation. Dans chaque cas les mêmes questions : quelle est cette limite qui a été dessinée ? Pourquoi et pour qui ? Quelle différence établit-elle ? Quelle forme de frontière pour quelle forme d’espace et quels modes de vie ? On pourra toujours s’enthousiasmer de telle ou telle forme, en faire le modèle d’un monde en soi, l’expression d’un monde à soi… Le fait est que c'est toujours une forme de séparation, une forme de limite, que l'architecture produit entre ce que l'on pense avoir domestiqué et ce que l'on projette encore de conquérir.

Jérémy Lecomte

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