Saba Innab

Tomorrow, Poetry Will (not) Be The House of Life, 2017

« La modernité, comme l’affirme Octavio Paz, est un concept exclusivement occidental et qu’on ne trouve en aucune autre civilisation. La raison à cela tient à cette vision du temps propre à l’Occident, qui veut que le temps soit quelque chose de linéaire, d’irréversible et de progressif. » Hilda Heynan, Architecture and
 Modernity

 

La genèse de la modernité au sein du monde arabe, que ce soit dans sa dimension logique ou esthétique, s’est faite indépendamment des conditions historiques et socio-économiques à l'origine du projet de l'avant-garde. Alors que l’ère de la modernité a signifié l’émergence de la notion d’« État-nation », elle a également été pour cette région synonyme de refuge et d’exil, si bien que l’on peut y voir l’inscription d’un effet colonial dans l’espace.

Ce projet revisite le rapport que la construction et la terre entretiennent au temps, à travers l’exemple du refuge et de l’exil palestiniens, un temporaire qui progressivement se transforme – ou se déforme – en quelque chose de permanent, où la notion de temps linéaire, telle que décrite par Octavio Paz, n’existe pas. Tout comme lorsqu’on vit dans l’attente, en suspens, le temps présent ne renvoie jamais à l’actuel.

Comprendre l’habitat temporaire s’avère d’autant plus compliqué lorsqu’il est juxtaposé aux processus de modernisation et de modernité à l’œuvre dans la région, et en particulier quand rien ne vient le couper du discours général de la modernité. La déterritorialisation et l’aliénation ont été renforcées par la rationalité de la modernité et ses différentes formes d’architecture. Toutefois, vivre dans le temporaire, en refuge, en exil, fait apparaître un autre niveau de déterritorialisation, en ce que l’on prend conscience que même l’habitat poétique est perdu.

Les différents modes d’habitat temporaire sont remémorés et reconnus en tant qu’archétypes et savoir-faire qui s’étendent sur un plan géographique et territorial. Ce processus d’évocation du souvenir fait du dilemme d’une construction dans le temporaire un dilemme plus grave encore, qui est de construire, de vivre, et même de mourir dans un état de suspens.

Ces archétypes sont ainsi recréés et matérialisés, devenant un monde topographique qui prend la forme d’un site archéologique, ou une archive inscrite dans l’architecture du quotidien.

Figer le souvenir visuel d’un espace, puis le déconstruire en angles, en matériaux et en ombres, met au jour une nouvelle couche ; émergent alors des références régionales, une aliénation et des tentatives de démêler l’inconnu, dans le contexte des processus de modernité-modernisation mis en œuvre au sein des pays d'accueil. Ces fragments d’espaces semblent être incomplets, entre effet secondaire d’une esthétique et spectacle ; des fragments qui sont tout à la fois un prolongement du refuge palestinien et partie intégrante de la déterritorialisation que subissent la classe ouvrière et les travailleurs migrants.

Saba Innab

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