L’érosion des domaines

Caborca analyse le territoire comme un ordre fragmenté en domaines simultanés qui s’organisent autour du déplacement de matières et de marchandises. Les cinq éléments – poussière, clôtures, brèches, pierres et monticules – constituent l’aspect matériel sur lequel reposent les politiques et les économies du paysage. Au-delà des motifs géographiques – la commune de Caborca dispose d’une côte sur le golfe de Californie et d’une frontière avec l’Arizona –, géologiques – une des régions aurifères les plus riches d’Amérique latine –, et économiques – une importante région agricole, et d’une route de passage clé dans le trafic de marchandises prohibées –, le projet n’est pas thématique : je ne cherche pas à parler de Caborca. Cependant, je veux réfléchir à la manière dont les frontières internes d’un territoire sont liées à des processus d’exploitation et de vidange. Les plans de Caborca sont évasifs : à peine suggèrent-ils quelque chose qu’ils sont remplacés. Un coyote qui déambule dans une mine est suivi par un drone qui vole dans un nuage de poussière ou d’une main qui dessine une carte dans la terre ; une piste d’atterrissage clandestine bloquée à l’aide de pierres laisse place à une montagne de déchets miniers. Ces fragments constituent également une réflexion sur le caractère évasif de certaines marchandises. Ce n’est pas seulement le cas des marchandises illégales, symbole de ce qui est dissimulé, mais aussi du minerai extrait : l’or est transporté sous forme liquide ou de minerai brut ; les mineurs extraient des grains d’or qui ne mesurent que quelques millimètres. À la différence du capitalisme classique où les marchandises sont mises en avant, ici, les marchandises déplacées sont cachées.

La poussière forme un point de convergence dans le paysage. La mine et le transfert, comme les forces géologiques, interagissent avec la poussière comme point de départ et d’arrivée. Ici, la poussière n’est pas une représentation qui accumule ou remplace des signifiés, mais quelque chose de matériel, plus proche de la dialyse – dans son sens étymologique de décomposition, séparation ou fragmentation – que de la métaphore. Les vidéos tendent vers l’érosion et la sélection : une désintégration spatiale et discursive qui appelle au contresens et s’écarte de toute prétention de raconter une histoire.

À Caborca, tout le territoire est privatisé. Que ce soit par l’industrie minière, un propriétaire privé ou les milices qui contrôlent l’accès aux différents chemins et zones, tout l’espace est une chaîne de privatisations qui fonctionnent de manière simultanée. Les frontières se déplient pour devenir dépositaires de multiples propriétaires et de multiples tâches : un morceau de terre contient un minerai, mais peut aussi être une voie de transport ; le migrant victime de la traite est aussi utilisé pour transporter de la drogue ; le chercheur d’or qui trouve de petites pépites peut aussi être le veilleur des tueurs. Cette superposition entre la légalité et l’illégalité donne naissance à des bénéficiaires passifs de la soumission territoriale, une classe de politiciens et d’entrepreneurs qui se nourrissent de la violence.

Miguel Fernández De Castro

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