A house from a drawing of Ettore Sottsass, 2012-2017

« Ettore Sottsass a produit une énorme quantité de dessins, donnant ainsi l’impression que c’était la vie elle-même (et pas seulement le travail) qui l’incitait à créer des images de chacune de ses considérations et pensées. Certains sont des esquisses, des études en couleur d’objets ou de bâtiments qui restaient à réaliser ; les autres simplement des dessins n’ayant d’autre finalité que d’être des images.

Celui intitulé Architettura monumentale (« Architecture monumentale »), présenté lors de l’exposition Architettura attenuata (« Architecture atténuée »), qui s’est tenue à la galerie Antonia Jannone de Milan en 2003, appartient à cette dernière catégorie, dans la mesure où il n’a résulté d’aucune commande ni émané d’aucun client, et où il a été conçu hors de tout contexte spécifique – ou tout du moins dans un contexte qui n’existait peut-être que dans l’imagination de son auteur. Le dessin en question est une projection axonométrique représentant deux des faces d’un volume érigé sur une terrasse carrelée, avec un ciel gris en arrière-plan. Le bâtiment est sombre, rudimentaire et introverti, et dépourvu de toute fonction explicite, si ce n’est celle de constituer un exemple d’architecture monumentale.

Ce volume habitable prend la forme d’une simple extrusion d’un tunnel ferroviaire. L’élévation avant présente à sa base une petite porte placée au centre. Sur chacune des deux faces figure une série de fenêtres de tailles diverses, dont certaines sont bleues, réparties sans ordre apparent. Une loggia, située dans la partie supérieure là où commence la courbe, laisse entrevoir un sol de couleur jaune vif.

Soucieux de créer un échange avec l’œuvre d’Ettore Sottsass, nous avons vu dans ce dessin la possibilité d’une collaboration hors du temps. Ce design très mystérieux et pourtant extrêmement expressif était à nos yeux si prometteur et offrait tellement de possibilités de développement. Comme nous l’avons déjà dit plus haut, la fonction n’est pas précisée, tout comme le contexte. Ce que nous savons, en revanche, c’est que Sottsass a réalisé cette ébauche dans sa maison de vacances de l’île de Filicudi. C’est pourquoi nous avons pensé que le bâtiment pourrait être vu comme une maison, peut- être située sur une île, avec vue sur la mer.

Afin de la reconstruire à l’échelle, nous nous sommes aidés des quelques rares indications contradictoires qui figuraient sur le dessin : la taille des fenêtres, leur position par rapport à un nombre hypothétique de niveaux intérieurs, ainsi que le quadrillage de la terrasse extérieure – le seul élément qui était susceptible de nous donner le ratio entre la largeur et la profondeur du bâtiment vu du dessus. Notre analyse nous a ainsi amenés à la conclusion, ou plutôt à la supposition, qu’elle possédait un plan carré de 10 mètres de côté, pour une hauteur totale de 12 mètres. Partant du volume du bâtiment et de la définition partielle de l’extérieur, notre projet entend compléter l’ensemble de ses façades et en imaginer l’intérieur. En d’autres termes, nous avons essayé de voir ce qui pourrait se cacher dans cette forme, et comment il serait possible d’y vivre.

L’idée était d’insérer un élément autonome qui viendrait occuper l’espace intérieur, tout en laissant néanmoins l’espace voûté intact, de sorte d’en préserver le caractère. Cet élément consiste en une structure abstraite, entièrement jaune, dominant les couleurs claires de l'intérieur, mais permettant toujours de les distinguer l'une de l'autre. Un réseau de poteaux et de poutrelles est placé dans la coquille noire, entretenant avec elle une relation à la fois libre et dépendante. Détaché des murs, il coïncide toutefois avec le système que forment les différentes ouvertures. Sa géométrie, bien que rigide, vient s’adapter à la courbe du grand plafond voûté.

La structure que nous proposons permet de vivre à l’intérieur sur trois étages, suivant une séquence de zones habitables : une pièce à vivre commune au premier niveau, un espace de travail au second, et un espace dédié à l’intimité et au repos au troisième. La maison n’est pas meublée, mais dispose de quelques plans horizontaux installés entre les colonnes, pouvant répondre à certains besoins essentiels du quotidien : sièges, tables, plans de travail et comptoirs. Une telle structure fait de l’Architettura monumentale de Sottsass une maison, attribuant une fonction à un projet qui restait jusque-là cantonné au papier.

Grâce à la première Biennale d’Architecture d’Orléans, nous avons l’opportunité de donner corps au projet intitulé A House from a Drawing of Ettore Sottsass (« Une maison à partir d’un dessin d’Ettore Sottsass »), dans une version plus petite qui le réinterprète comme un cabinet de curiosité. La maison se transforme alors en pavillon, pensé comme un nouvel espace d’exposition pour la ville d’Orléans.

Celui-ci verra ses nouvelles dimensions réduites à 5,5 x 5,5 m. Il sera entièrement préfabriqué et installé dans un premier temps sur la place Gambetta, devant la Médiathèque, avant d’être déplacé à la fin de la Biennale vers le Parc Floral, qui sera son emplacement permanent.

Les espaces extérieurs et intérieurs respecteront les intentions initiales : l’extérieur reproduira le dessin original d’Ettore Sottsass, tandis que l’intérieur sera occupé par une charpente de couleur jaune qui fera office de dispositif d’exposition en trois dimensions, représentant ainsi la « structure » du cabinet.

En tant que commissaires d’exposition du premier « cabinet », nous mettons en scène nos obsessions. Des architectures, des objets, des tableaux et autres formes archétypales peuplent ce premier cabinet, racontant en quelque sorte l’histoire de tentations maté- rialisées au travers de 36 nouveaux dessins originaux. Les illustrations recouvrent les murs du pavillon sans hiérarchie ni ordre spécifique, simplement juxtaposées de manière à provoquer des rencontres inopinées entre les divers objets sélectionnés, issus tant de nos travaux passés que de la collection du Frac Centre-Val de Loire, bien entendu. L’ensemble de cette collection de dessins constitue dès lors un essai visuel sur l’idée d’architecture et sur le rapport intime que nous entretenons avec elle. »

2A+P/A