Mégastructures

« Il faut concevoir de nouvelles concentrations urbaines qui correspondent à nos besoins de déplacement rapide et d’échanges, de dynamisme et de mobilité ». Michel Ragon, Prospective et Futurologie, 1978.

« Il faut concevoir de nouvelles concentrations urbaines qui correspondent à nos besoins de déplacement rapide et d’échanges, de dynamisme et de mobilité ». Michel Ragon

Devant l’urbanisation effrénée que connaît l’Europe de l’après-guerre, certains architectes conçoivent dès la fin des années 1950 de nouveaux schémas d’urbanisation intégrale, marqués par une reconfiguration fondamentale de l’espace architectural et urbain. Les « mégastructures » offrent un nouveau modèle d’urbanisme, tout à la fois mobile, relationnel, en phase avec les progrès technologiques et les nouveaux modes de vie du monde occidental.

La mégastructure est définie par une capacité d'extension et de modularité infinie et une liberté de planification à travers une ossature ouverte. Le recours à des formes systématiques, comme la grille ou la trame urbaine, vient servir une organisation de l'espace en quête de mobilité et d'un idéal égalitaire, revendications sociales caractéristiques d’une époque. L'espace urbain s'y donne comme un réseau d'agglomérations, de libre implantation des cellules d'habitat. L'architecture équivaut à une infrastructure, préfabriquée industriellement, dans laquelle viennent s'intégrer les « clusters », cellules spatiales en matière synthétique, pour les circulations et les habitations.

Ce concept est illustré par la figure emblématique de Yona Friedman. À partir de recherches sur les structures spatiales, il développe un système proliférant qui procède par interpénétration de strates ou de « nappes ». Ses Villes spatiales sont des villes suspendues sur pilotis, qui se répartissent sur plusieurs niveaux à partir d'une structure tridimensionnelle. L'habitant déplace librement son habitat à partir de la trame de cette grille. En 1956, Friedman expose pour la première fois ses théories au CIAM de Dubrovnik (Xe Congrès International d'Architecture Moderne) et fonde en 1958 le GEAM (Groupe d'Étude d'Architecture Mobile) qui propose une mobilité potentielle de l'habitat. Les propositions de Friedman seront très influentes sur le développement de l'architecture métaboliste au Japon des années 1960-1970 (Kurokawa). Cette quête de mobilité est aussi ce qui anime le groupe anglais Archigram, qui développera des projets phares, tel le Living-Pod, et influencera la scène radicale à venir, notamment les Autrichiens du groupe Haus-Rucker-Co. En 1965, Domenig et Huth proposent un projet pour la ville de Ragnitz en Autriche, qui remporte en 1969 le Grand Prix d'Urbanisme et d'Architecture de Cannes, s'affirmant (selon Reyner Banham) comme le projet le plus significatif de « mégastructure ». En France, les villes tridimensionnelles de Martin Pinchis ou les « villes-cratères » de Chanéac, dessinent une organisation équitable de l'espace, qui se retrouvera dans les compositions géométriques complexes de Jean Renaudie (ville nouvelle du Vaudreuil, 1967-68) ou de Renée Gailhoustet. En Allemagne, Schulze-Fielitz expérimente à la même époque un urbanisme spatial, et Giorgini poursuivra ces recherches aux États-Unis.

Toutes ces recherches partagent le rêve d’une Nouvelle Babylone – comme le suggère le projet manifeste de l’artiste Constant (New Babylon, 1954) – porteurs d’autres modes d’habiter, d’autres façons de penser ou d’organiser la vie sociale et politique.

Si les années 1960 multiplient les visions futurologiques de « villes spatiales », anticipant une société du réseau et de la communication totale, l’architecture radicale des années 1970 ironisera sur cette quête de croissance illimitée. Les « utopies négatives » d’Archizoom ou de Superstudio délivreront des visions inquiétantes d’une humanité soumise au pouvoir autoritaire de la grille, de l’image et des technologies.

À travers sa collection unique de maquettes, dessins et œuvres d’art, le FRAC offre une traversée exceptionnelle de cette histoire de la « mégastructure ». Plusieurs dizaines de projets majeurs, par leur dimension esthétique et critique, retracent les moments clés du débat théorique et délivrent des « visions » renouant avec le pouvoir universel de l’utopie.