Sophie Calle

Artiste (1953)

La première exposition personnelle de Sophie Calle, née en 1953 à Paris, date de 1983. Elle est déjà vécue sur le mode opératoire du procès-verbal ou du compte rendu d'une aventure à partir d'une série de séquences photographiques et de notes. Que les lieux saisis sous l'objectif soit l'hôtel où, engagée comme femme de chambre, elle en photographie les chambres après passage des hôtes (Suite vénitienne, 1986) ; sa propre chambre à coucher dans laquelle elle invite des inconnus à dormir dans son lit (Les Dormeurs, 1979) ; une chambre aménagée en haut de la tour Eiffel (Chambre avec vue, 2002) ou la rue comme exercice de filature (La Filature, 1981), ils renvoient toujours à une même démarche : celle de l'effraction dans la vie d'autrui et, davantage qu'au voyeurisme, à une métamorphose du « voir ». Son travail est remarqué dans les années 1980 par une série consacrée à des aveugles de naissance à qui elle demande de donner une définition de la beauté (Les Aveugles, 1986). Cette époque annonce ce qui sera une pratique récurrente chez l'artiste : une narration, appuyée de notes, de lettres, de photographies, mettant en évidence le thème omniprésent de l'absence (Last Seen, 1991 ; Souvenirs de Berlin-Est, 1999 ; Prenez-soin de vous, 2007 ; exposition Rachel, Monique, 2010) en utilisant une méthode proche du roman photo, du journal intime, de la mythologie individuelle. Plus que photographe, Sophie Calle est écrivain, vidéaste, auteur et même personnage de roman dont l'œuvre a fait l'objet de nombreuses rétrospectives (Doubles-jeux en 1998 ; M'as-tu vue en 2003). Elle a représenté la France lors de la biennale de Venise 2007 et a été récompensé du Prix Hasselblad en 2010.

Le 29 octobre 1984, elle obtient une bourse du ministère des affaires étrangères et choisit de prendre le transsibérien qui relie Moscou à Vladivostok. Elle y rencontre Anatoli avec qui elle partage sa cabine. Ils ne parlent pas la même langue mais tentent de communiquer. Les 265 clichés et le texte valant journal de bord qui résulte de ce voyage, entreprennent conjointement d'établir le contenu d'une relation a priori sans fondement, puisque arbitraire, qui ne cesse de se donner et de se dérober. L'apparition de l'homme à la fois récurrente, pesante, obstinée, muette, saisie sans délicatesse, semble vouloir épuiser la force d'une présence à la limite de la civilité. L'aspect éclaté de cette apparition redit cependant qu'elle est insaisissable et paradoxalement laisse croire à la rencontre. Cette méthode dont la violence consiste à confondre l'être avec ce qui en est l'indice ou la trace, révèle l'impossibilité de livrer le secret du contact qui a permis ce rassemblement d'images. Elle augure pourtant, par le seul enregistrement de signes extérieurs, la certitude de la connaissance de l'autre.

Nadine Labedade

partager sur ou